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Mettre le bien commun au cœur des nouveaux imaginaires de l’entreprise. Retour sur la conférence de Marine Calmet et Léa Jeanne Boehringer, à l’occasion du Festival Atmosphères

Rédigé par La rédaction du C3D, le 27 novembre 2024

Nouveaux récits, droit environnemental : comment l’émotion peut être mise au service de la transition écologique et sociale ? 

Bien que les scientifiques, notamment par le GIEC, alertent depuis des années sur les origines et les conséquences de la crise climatique, les méthodes utilisées pour inciter les citoyens à modifier leurs comportements ne sont pas assez pertinentes. 

Quel regard expert portent les 3 intervenants de cette table-ronde (Fabrice Bonnifet, Marine Calmet et Léa Jeanne Boehringer) et quels pourraient être, selon eux, les leviers d’action pour engager les individus et inciter au passage à l’action ?

Mettre la fiction au service de nouveaux récits

Si les récits peuvent inviter le public à penser autrement des sujets complexes, telle que la crise climatique, la construction de ces imaginaires doit véhiculer des émotions positives. Les études ont montré que les téléspectateurs ne veulent pas ressentir d’angoisse ou de culpabilité, pourtant associées aux discours écologiques.

Pour sensibiliser davantage le public, il faudrait s’éloigner des trois archétypes actuels des fictions écologiques : le film catastrophe (comme, par exemple, La Route ou Le Jour d’Après), la fable mythologique (comme, par exemple, Princesse Mononoké ou Avatar) ou encore le film de faits divers (comme, par exemple, Goliath).

A contrario, pourquoi ne pas proposer des personnages auxquels le public peut facilement s’identifier ? Des personnages « parfaitement imparfaits », qui s’engagent, sans être exemplaires ni héroïques, sur fond d’une histoire qui ne serait pas centrée sur de la crise écologique (contrairement à nos archétypes) ? Ce nouvel imaginaire pourrait véhiculer des valeurs positives et présenter des comportements écologiques accessibles, comme le fait de prendre le vélo ou d’acheter en seconde main, sans imposer un mode de vie plus radical. À titre d’exemple, dans la série culte Friends, Phoebe est présentée comme végétarienne, sans pour autant que ce soit un thème central dans la série.

Il est donc essentiel d’intégrer des valeurs écologiques dans les récits, sans adopter un ton moralisateur ou culpabilisant, tout en mettant en scène des modèles de comportement positif. Et cet effort devra nécessairement s’accompagner d’un accompagnement du changement, plus profond, puisque ces nouvelles fictions ne pourront voir le jour sans le soutien des diffuseurs et des financeurs de l’audiovisuel.

Quand, grâce au droit environnemental, la nature devient une personnalité juridique

Au-delà d’incarner la transition juste et la lutte collective pour préserver le bien commun – dans les fictions et récits d’aujourd’hui – ne serait-il pas pertinent, voire souhaitable, de lui donner également une « consistance » sur le plan juridique ?

L’actuel droit de l’environnement présente de nombreuses limites. Il n’a pas été construit pour répondre aux alertes des scientifiques et servir l’intérêt général, mais pour concrétiser une vision politique, le plus souvent guidée par les industriels (via les pratiques de lobbying). Avez-vous déjà entendu parler du projet minier de la Montagne d’Or en Guyane française ?

De plus, le droit n’est pas une science exacte ni une transcription de vérités scientifiques, mais une fiction juridique construite par l’assemblage de mots et de règles inscrits dans des codes et votés sous forme de lois.

Puisque les lois actuelles ne prennent pas en compte les limites planétaires, pourquoi la nature ne deviendrait pas un sujet de droit ? Cette reconnaissance constituerait ainsi un outil pour protéger les écosystèmes. D’autres pays se sont également penchés sur ce sujet. L’Équateur a inscrit les droits de la nature dans sa Constitution en 2008, en Nouvelle-Zélande, le fleuve Whanganui est devenu une personnalité juridique, tout comme la lagune de la Mar Menor en Espagne, grâce à la mobilisation de près de 600 000 citoyens.

Pour sensibiliser et former le public et les futurs juristes aux droits de la nature, différentes initiatives sont mises en place comme par exemple les « procès simulés » d’un scandale écologique, en partenariat avec une ou plusieurs associations de terrain. Certains auront déjà pris part à l’AG du futur, faux Conseil d’administration organisé par le cabinet Prophil et le média Usbek & Rica. Mais l’association Wild Legal n’est pas sans reste et a également travaillé avec une vingtaine d’étudiants dans la mise en scène d’un « faux » procès autour de l’extraction de sables et granulats marins dans l’estuaire de la Gironde, en s’interrogeant sur la légalité de l’arrêté préfectoral et sur les droits de l’estuaire.

Mais il est également nécessaire que les entreprises se questionnent sur leur rapport au vivant. En raison de la dépendance de 80 % des emplois français à la biodiversité, de plus en plus d’entreprises souhaitent se doter de représentants de la nature dans les conseils d’administration – à l’instar de NORSYS, qui a tout récemment imaginé une représentation effective et multiple de la nature dans les différentes instances de l’entreprise.

En donnant un visage aux luttes socialement et écologiquement justes, de même qu’une voix à la nature, l’ensemble de ces initiatives fait appel à ce qui caractérise l’Humain : l’émotion. Car, bien plus que des discours rationnels ou des chiffres en pagaille, l’émotion a la capacité d’animer, de rendre palpable… en somme : d’éveiller la volonté d’agir. Et, utilisée à bon escient, elle est à ce titre un puissant vecteur de changement.

La création de nouveaux récits avec des messages positifs et accessibles est un premier axe d’opérationnalisation de l’émotion. Un second consiste à intégrer la question du vivant dans toutes les décisions politiques et économiques, grâce au soutien du législateur.

Vous pouvez retrouver le replay Youtube de cette conférence ici

 

Lectures évoquées lors de la conférence :