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La fonction de responsable RSE en PME-PMI : entre pragmatisme et innovation
Longtemps réservées ou dimensionnées pour de grandes entreprises ou des ETI, les démarches de développement durable et les politiques RSE pénètrent de plus en plus le tissu des PME-PMI. Certes, cela reste encore plutôt marginal et constitue davantage l’exception que la norme. Mais les efforts conjoints menés par des organisations comme le CJD ou la CPME, les démarches territoriales, les actions des chambres consulaires, sans compter les initiatives individuelles de chefs d’entreprises volontaires, tout cela a permis de multiplier les exemples de PME s’engageant dans la voie du développement durable. Mais pas de démarche RSE aboutie dans une PME sans une personne, un homme, une femme, pour l’incarner dans ou bien à côté de l’entreprise. Interrogeons-nous sur cette fonction RSE en PME-PMI, ses particularités, son originalité, les atouts ou les difficultés d’être aujourd’hui responsable Développement durable dans une petite ou moyenne entreprise.
Thierry Leonardi, membre associé du C3D et ancien co-pilote du groupe de travail PME-PMI, a été pendant des années en charge de la RSE à l’Opéra de Lyon. Aujourd’hui consultant indépendant, selon lui, pour mener sérieusement une démarche RSE en PME structurante, et qui à terme puisse influer voire imprégner la stratégie de l’entreprise, il faut premièrement convaincre le ou les dirigeants d’inscrire la démarche dans la durée. Deuxièmement, il faut absolument que cette RSE soit portée par une personne qui ira irriguer les équipes et les collaborateurs pour ancrer la logique dans l’activité et les différents métiers. T. Leonardi précise « Peu importe d’ailleurs que cette fonction soit internalisée, attribuée à un collaborateur en place qui va prendre cette mission à mi-temps ou sur un quart-temps, ou bien externalisée. L’important est que ce travail puisse se faire dans une continuité, pour que le changement puisse s’opérer durablement et que l’on ne soit pas dans l’action ponctuelle, anecdotique, fragmentée. »
Un responsable RSE doit porter une vision réellement stratégique de la RSE, en lien avec l’innovation et la marque
Toujours selon T. Leonardi, il est essentiel que le responsable RSE puisse porter en interne, auprès des parties prenantes, cette vision globale inhérente à la RSE, pour qu’à terme la RSE permette, en plus de mobiliser les équipes ou générer des économies, être un facteur de compétitivité. Et Thierry Leonardi conclut « Enfin, il faut aussi que ce responsable RSE ait la capacité de porter une vision réellement stratégique de la RSE, en lien avec l’innovation et la marque. »
La question que l’on peut se poser à propos de l’implémentation d’une démarche RSE dans une PME est : par quoi commencer ? Faut-il commencer modestement par une action ponctuelle, pour générer par exemple des économies d’énergie et d’eau ? Ou bien faut-il au contraire amorcer dès le départ une démarche plus globalisante et structurante de type ISO 26 000 pour repenser l’ensemble de l’entreprise… et sa stratégie ? Pas de recette miracle en réalité ni de voie unique. Les approches différent d’une PME à l’autre et c’est tant mieux.
Le cas d’Ubitransport, startup spécialisée dans les systèmes de transport intelligents
Illustration d’une démarche progressive avec le témoignage de Laurence Medioni, membre du C3D et Directrice Communication & RSE au sein de la startup bourguignonne Ubitransport. « Pour une PME, il n’est pas simple au départ de se convaincre de l’intérêt d’engager une démarche RSE. J’ai pu avancer pas à pas et persuader d’abord le dirigeant et les autres décideurs, de réfléchir à ces questions et de faire ce pari. J’ai d’abord effectué des missions, car il aurait été prématuré et trop risqué de créer un poste à plein temps sur la communication et la RSE. De façon pragmatique, j’ai regardé ce qui, dans l’entreprise, était déjà du ressort de la RSE sans que l’on en ait conscience. Nous avons constaté de fait que nos solutions répondaient déjà en grande partie à des enjeux économiques, environnementaux et sociétaux et qu’il serait structurant de valoriser ces actions en termes de communication. »
« Que ce soit par rapport à notre politique RH, sur les gains environnementaux, économiques et les impacts sociétaux que permettent nos solutions, les bénéfices RSE étaient déjà visibles mais pas forcément perçus en tant que tel. Redéfinir les messages clés, repositionner stratégiquement la startup, intégrer et relier l’univers techno et les enjeux RSE a permis de donner une nouvelle dimension à Ubitransport, avec un impact fort en termes de notoriété et de compréhension des défis à mener et acteur d’une société plus inclusive, que ce soit auprès des médias, acteurs du transport ou de l’innovation. En interne, cela a permis d’ancrer la démarche en montrant aux collaborateurs son utilité. »
Fort de ces premiers succès, Laurence Medioni a ensuite obtenu un poste à plein temps en CDI, en consacrant environ 50 % de son temps à la communication et 50 % à la RSE. Et la startup va passer bientôt à une approche RSE beaucoup plus structurante avec la construction actuelle de sa feuille de route RSE, indissociable d’une structuration d’entreprise en période d’hypercroissance pour conserver son cap et ses valeurs. Grâce à une subvention du Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté qui finance le dispositif « Conseil Expert RSE », Ubitransport est en capacité de peaufiner son approche RSE et lance actuellement une consultation de ses parties prenantes.
En regardant rétrospectivement le chemin déjà parcouru, ce qui enthousiasme Laurence Medioni est qu’avec les actions RSE menées et la collaboration avec le C3D dans l’univers du développement durable, elle se donne les moyens de participer et d’essayer de répondre aux défis environnementaux et sociétaux de la mobilité. « C’est une vraie ouverture au monde que de s’inscrire dans ces défis planétaires, cela apporte du sens, nous rend acteur du changement en ouvrant en grand la voie des possibles. »
Le cas de Celtys, PME spécialisée dans les bétons industriels
Autre univers, l’entreprise bretonne Celtys où travaille Isabelle Frigout en tant que chargée du service technique produits et activités, développement durable. A l’origine, l’entreprise qui avait déjà mis en place des démarches qualité (certification ISO 9001 notamment), mais aussi différentes mesures environnementales ou en matière de sécurité, a commencé à construire sa démarche de développement durable sous la pression du marché et de ses clients, pour pouvoir fournir les FDES (Fiches de Déclaration Environnementales et Sanitaires) de ses produits. Travaillant avec la profession et les acteurs du secteur, la PME a dû s’engager dans une démarche d’éco-conception pour revoir ses produits, pour en améliorer les performances et pouvoir fournir des FDES précises permettant aux clients et maîtres d’œuvre notamment de mieux calculer les impacts et les performances futures, thermiques, acoustiques, des ouvrages. C’est d’autant plus utile aujourd’hui avec les « maquettes numériques » (le projet BIM : Building Information Modeling), les données fournies par Celtys permettant aux clients de mieux évaluer, de manière virtuelle, le comportement et les évolutions futurs des ouvrages utilisant les bétons de la PMI bretonne.
Autre initiative, le reporting. Celtys a regardé différents indicateurs développement durable, ceux du Grenelle de l’environnement, ceux de la GRI, et en complétant ses propres indicateurs et son tableau de bord, la PMI a pu se doter d’un outil de suivi de ses performances sociétales, environnementales et économiques. Cela a également permis à l’entreprise de produire pour la période 2014-2015 un rapport de développement durable, démarche volontaire permettant de valoriser les projets les plus aboutis et ses actions sur le plan économique, environnemental, social et sociétal.
Et lorsqu’on demande à I. Frigout la part qu’occupe le développement durable dans son travail quotidien, elle précise : « Impossible de séparer cet aspect de mes autres attributions. Aujourd’hui, le développement durable fait complètement partie de l’ADN de Celtys. Le développement durable est devenu une démarche globale de l’entreprise et les frontières et les cloisons sautent. Aujourd’hui, je crois que pour une PMI, nous avons acquis une certaine maturité en matière de développement durable. Mais il faut maintenir le cap, notamment en formant et sensibilisant nos nouveaux collaborateurs, pour maintenir ce niveau d’excellence et les acquis dans ce domaine. Pour Celtys, nous n’avons pas encore mesuré si nous avions décroché certains marchés grâce au développement durable et le certificat ISO 26 000, mais l’on sait que le développement durable, dans notre secteur, est devenu incontournable et devient une obligation pour rester compétitif. Le développement durable est devenu un axe fort de notre entreprise. ».
Trois témoignages, trois approches distinctes mais un enthousiasme comparable pour une fonction et un métier : responsable RSE.